Le derby de Sofia : CSKA vs Levski, l’autre affrontement des Balkans
Chaque année, la capitale bulgare devient le théâtre d’un affrontement hors norme : le derby éternel entre le CSKA et le Levski. Plus qu’un simple match, c’est une bataille chargée d’histoire, de politique, de passion et parfois de haine. Héritée de l’ère communiste, nourrie par les fractures sociales et attisée par la radicalisation post-régime, cette rivalité enflamme les tribunes autant qu’elle divise la ville. De la ferveur encadrée du passé aux violences contemporaines, le derby de Sofia reste l’un des plus explosifs des Balkans.

CSKA-Levski, aux origines d'une rivalité explosive
Une fracture politique et sociale
Comme en Croatie ou en Serbie, la Bulgarie possède son propre « derby éternel ». Celui-ci oppose les deux géants historiques de Sofia : le CSKA, club de l’Armée, et le Levski, club populaire fondé en 1914 en hommage au héros national Vassil Levski. Dès sa création en 1948, le CSKA bénéficie du soutien du régime communiste, ce qui lui permet d’attirer les meilleurs talents et de s’imposer rapidement comme une puissance du football bulgare.
Face à lui, le Levski incarne l’opposition symbolique : celui des ouvriers, du peuple, de ceux qui contestent l’ordre établi. Cette opposition de classe, renforcée par la politique autoritaire du pouvoir, transforme chaque match en affrontement idéologique. Le derby devient alors un rituel incontournable de la vie à Sofia.
Le derby des années rouges : passion sans débordement
Durant l’ère communiste, les affrontements entre le Levski et le CSKA se déroulent dans un stade national Vassil-Levski plein à craquer, souvent en présence de dignitaires du Parti. Plus de 50 000 personnes assistent à ces matchs qui, malgré l’intensité sur la pelouse, restent globalement calmes en tribunes. L’ordre règne, les comportements sont surveillés, et la ferveur ne dégénère pas.
Mais tout bascule le 19 juin 1985. Ce jour-là, une finale de Coupe entre les deux rivaux dégénère : bagarres sur la pelouse, arbitre pris à partie, échauffourées dans les gradins. Le régime communiste frappe fort : suspensions massives, interdictions de jouer à vie, changement de noms des clubs (le Levski devient Vitosha, le CSKA devient Sredets). Ce match marque un tournant. La chape de plomb du régime est fissurée. Et la rivalité va bientôt s’exprimer autrement.
De la passion à la violence : la dérive post-communiste

Chute du régime communiste, montée de la haine
Avec la chute du communisme en 1989, le Levski et le CSKA retrouvent leur nom… et leur liberté. Mais cette libération a un revers : les tensions, longtemps contenues, explosent. Les groupes ultras se radicalisent, les incidents se multiplient. Le football bulgare entre dans une ère de violences. Les derbies se jouent encore, mais dans un climat électrique.
Le drame de 2000, où un homme de 30 ans meurt dans des affrontements, symbolise cette bascule. En 2011, lors d’un Levski–CSKA, des autobus sont renversés, des magasins pillés, des policiers grièvement blessés. Canons à eau, chevaux, boucliers : la ville devient une zone de guerre à chaque match. (source : Footballski)
Et parfois, cette haine dérape dans l’idéologie… Le 20 avril 2013, certains supporters du Levski se signalent tristement en rendant hommage à Adolf Hitler, né un 20 avril 1889. Une partie de la tribune bleue affiche des symboles et des messages explicites pour marquer cette date. Cet épisode choque jusqu’en dehors de la Bulgarie, rappelant les dérives extrémistes qui gangrènent certaines franges radicalisées des tribunes dans les Balkans. (source : lagrinta)
Les tribunes se vident, la magie s’efface
Face à cette violence chronique, les familles et les spectateurs modérés fuient. Le derby éternel, qui attirait jadis des dizaines de milliers de fans, ne rassemble plus que 15 000 fidèles, sous surveillance policière extrême. En 2014, un match symbolise cette dérive : 632 sièges arrachés, 46 supporteurs ont été interpellés, jets de projectiles, six expulsions sur le terrain, le tout dans un stade aux deux tiers vide.
Une rivalité entre nostalgie et survie
Le poids des crises et des dettes
Le contexte économique n’arrange rien. Le football bulgare est en crise : faillites, gestion opaque, clubs endettés. Le CSKA est particulièrement touché. Rétrogradé administrativement en 2015 après des dettes colossales, il ne remonte qu’en fusionnant avec le Litex Lovetch, un montage controversé qui le replace artificiellement dans l’élite.
Cette instabilité affecte l’attrait du derby. Si les supporters ultras continuent d’alimenter la haine, l’enjeu sportif, lui, s’est dilué. Le Ludogorets Razgrad domine désormais le championnat, reléguant le Levski et le CSKA au rang de géants blessés. Le derby, lui, devient une relique vivante, plus emblématique que compétitif.
Un rendez-vous toujours à part
Et pourtant, malgré tout, le derby éternel reste unique. Il conserve une aura que peu de matchs en Europe peuvent égaler. Chaque affrontement fait resurgir les vieux démons, les vieilles rancunes, les souvenirs glorieux d’une époque révolue. Pour les fans, c’est le match de l’année, celui où tout peut basculer et pour lequel beaucoup de groundhopper se déplacent pour voir l’ambiance dans les tribunes.